Jeanne de Domrémy à Rouen chez Michelet, Péguy et Claudel

Mardi 29 Septembre 2020-00:00:00
' Ayman Elghandour

L'héroïsme de Jeanne d'Arc est plus émouvant que celui des grands rois et des grands vainqueurs. Bien qu’elle soit une jeune paysanne, illettrée, elle a enflammé les énergies, fait évoluer la conscience collective et changé le destin tragique de son pays. Grâce à ses miracles, la guerrière lorraine occupe une place remarquable dans les ouvrages du XVIe siècle; au siècle du classicisme, elle a inspiré beaucoup d’écrivains qui l’ont défendue. Le siècle des Lumières se montre hostile à la pucelle : Voltaire l’a rendue sorcière et hérétique; mais les écrivains du XIXe siècle l’ont mise en relief et l’ont considérée comme symbole de la résistance nationale. Pour mieux comprendre son mythe, on va passer en revue sa place chez Michelet, Péguy et Claudel.

Grâce à son travail dans les Archives Nationales, Michelet s’est bien documenté ; il a lu les sources et les manuscrits concernant Jeanne d'Arc et lui a consacré deux chapitres de son Histoire de la France. L’historien romantique a étudié le milieu historique et géographique où se trouvait Jeanne. Après avoir présenté la région lorraine, il a mis l’accent sur les parents de la pucelle. Chez lui, la petite Jeanne s’avère simple, timide, douce, pleine de candeur, vertueuse et pieuse: elle adresse ses prières à Jésus, à la Vierge, s’intéresse à écouter les cloches de son église. De plus, elle a l’habitude de soigner les malades, donner l’aumône aux pauvres et ne joue qu’avec ses amies dans la forêt Chenu. La Jeanne d'Arc  de Michelet est cohérente. De prime abord l’héroïne y semble une sainte: dernière incarnation du Christ. Malgré son courage et son habileté militaire, elle est pacifiste, symbolisant le peuple et la moralité nationale. “Jeanne d'Arc, le dernier des martyrs, est en même temps la première figure patriotique.”

Quant à Charles Péguy, né à Orléans, la terre natale de la pucelle, et issu d’une famille misérable, il s’avère un enfant du peuple. Après avoir vu une représentation d’Oedipe roi (1894), il décide d’écrire un drame sur Jeanne d'Arc. En trois actes : à Domrémy, les Batailles et Rouen, le dramaturge présente des dialogues lyriques, mêlant la poésie à la prose. Son héroïne symbolise à la fois l’humanisme et l’intrépidité. Elle décide de “partager le supplice des damnés” et délivrer la France. Bien qu’on l’emmène au bûcher, elle demeure sainte jusqu’au bout. Convaincue de sa mission, la pucelle dit à son Dieu: “Je sais bien que j’ai bien fait de vous servir. Mes voix ne m’avaient pas trompée.”

Comptant sur son génie créateur, Claudel a écrit Jeanne d'Arc au bûcher, drame composé de onze scènes. Il met l’accent sur le supplice de son héroïne, trahie par les Français; supplice qui lui semble le sommet du drame de la pucelle. Claudel ne s’intéresse pas à la vie intime de Jeanne, mais il évoque les complots tramés contre elle: le roi d’Angleterre influence les juges et les prêtres pour la condamner à mort. Le penseur français nous surprend en annonçant que la sainte prisonnière serait jugée par des bêtes : l’âne est le greffier et le cochon est le juge. Le procès revêt ainsi un aspect satirique. Chez Claudel, Jeanne est forte et sûre d’elle-même; elle symbolise l’unité et la résistance. Le dramaturge l’a créée ainsi pour souligner la souffrance résultant de toute injustice. Il affirme la pureté de son héroïne à qui la Vierge Marie dit: “Jeanne, tu n’es pas seule.” La pucelle se révèle victime d’une conspiration politique et ecclésiastique. Contenant à la fois monologues et dialogues, Jeanne d'Arc au bûcher est une œuvre lyrique et pathétique. L'auteur y unit la littérature à la spiritualité.